La CP ancienne illustrée, une approche sociologique
Une contribution sympathique de Maritchu
« La carte postale illustrée est un témoin candide de nos distractions, de nos traditions, de nos us et coutumes, de nos attitudes morales et de notre comportement ! » Témoin de l’art et de la culture, elle un message vivant de l’esthétique de notre temps.
Comment est née la carte postale ?
Elle apparaît vers 1870, issue de divers courants artistiques, techniques et humains. Elle reflète évidemment à ses débuts les autres supports graphiques existants et s’inspire de leurs techniques d’impression. On peut citer comme sources d ‘inspiration :
Les photos dites « d’identité » ou de situations, sur carton.
Les menus dessinés ou lithographiés
Les « greetings » (vœux anglais) expédiés sous enveloppes
Les cartes porcelaine (vers 1840), et cartes commerciales publicitaires sur papier fort dès 1856, sans illustration
Les entiers postaux (cartes postales sans illustrations mais pré-timbrées)
Les enveloppes illustrées, parfois pré-timbrées
Les cartes à jouer, cartes tarots depuis le XVIIIème siècle, genre images d’Epinal
Les chromos souvenirs ou jeux d’enfants
Les images religieuses souvenirs…
Pourquoi cette innovation ?
Par opportunité, c’est le siècle de la technique !
Les techniques d’impression se développent, s’universalisent. La photographie se démocratise, on peut reproduire en série. Le régime postal s’unifie par des formats standardisés, le coût de l’envoi diminue (par exemple la carte « one penny » anglaise), les cartes s’achètent facilement dans la rue et les évènements internationaux (expositions) en favorisent la diffusion.
C’est aussi le temps de l’émancipation !
La CP répond à la hâte de communiquer et profite de la vitesse de distribution. Notez les 3 livraisons par jour et les 7 triages quotidiens, dimanche compris jusqu’en 1912. Cela permettait d’inviter quelqu’un et de recevoir sa réponse le jour même. L’envie d’écrire est développée par les réseaux éducatifs croissants, dont l’école obligatoire pour certains. La CP permet de brefs messages, élément favorable à une majorité de la population peu instruite. Elle permet une plus grande facilité d’expression, contrairement au courrier traditionnel, car il n’y a pas de règles de style. Excusez l’urgence et le manque d’espace disponible (le verso ne comporte au départ que l’adresse du destinataire) ! On voit cette évolution dans la façon dont l’illustration prend de l’ampleur. Au départ, une illustration discrète, occupant un quart de l’espace, et laissant le reste pour l’écrit, encore primordial. Au tournant du siècle, l’illustration envahit tout le recto et les expéditeurs doivent tourner autour pour faire passer leur message écrit.
Le choix du support lui-même, une image, constitue en soi un message (parfois déguisé), une preuve d’élégance, d’instruction et d’attention.
C’est la communication rapide, avant le téléphone (aujourd’hui le GSM qui joint l’image au texte !) avec ce double effet : une image et un texte signé, non périssables !. C’est le reflet du vécu, le jeu de la surprise et de l’imprévu, un cadeau qui reste (d’où la création de séries à collectionner). C’est aussi un nouveau profit pour l’administration qui est la seule à les imprimer au début (1872).
Quelques étapes importantes
1869 : la première carte correspondance pré-timbrée concurrence la lettre
1870 : premières cartes transportées par ballon (avec cachet spécial !)
1870 : premières cartes « Christmas » lithographiées en couleur (UK)
1871 : première carte illustrée en Belgique, frise symbolique en noir et blanc.
1872 : premières cartes publicitaires (G. Doré – Mucha..)
1886 : uniformisation des règlements postaux internationaux (les éditeurs donneront des informations en plusieurs langues pour une plus grande diffusion) par un poids et un format identiques.
1889 : inauguration de la Tour Eiffel, prétexte à diffusion massive de cartes souvenir
1890 : les imprimeurs obtiennent des concessions privées, d’où l’augmentation du nombre d’éditeurs et le développement des techniques d’impression
1896 : les formats se régularisent, élargissant le format des enveloppes de l’époque qui servait de base.
1900 : généralisation du phénomène « envoi-réception » universel (premières expositions et manifestations cartophiles)
1902 : la carte est divisée au verso pour permettre d’augmenter la surface de l’illustration (phénomène progressif jusqu’en 1906). On commence à imprimer un message avec l’illustration, pour éviter de devoir écrire, suggérer une intention de vœux, indiquer une localisation ou faire une remarque humoristique. Un tarif spécial concernait les messages de 5 mots (tarif imprimé).
Evolution iconographique
Les grands artistes seront sollicités pour valoriser les collections (séries créées par les éditeurs), tandis que les artistes (illustrateurs et photographes, mais aussi firmes commerciales) connus ou méconnus y verront une source de revenus faciles et réguliers. Les artistes renommés sont souvent les affichistes de l’époque, ceux qui illustrent les grands auteurs ou collaborent avec les périodiques et les journaux.
Après 1900, le règne du cliché s’installe jusque dans les villages, grâce à l’essor de la photographie. Chaque localité a son photographe amateur (aujourd’hui très recherché) qui n’y voyait qu’une source de revenus supplémentaires par des tirages limités sur papier carte postale. Ils utiliseront aussi la photographie d’atelier et le photomontage.
Déclin ou désintérêt ?
Après la première guerre mondiale, l’apparition du téléphone, l’expansion des journaux et la démocratisation des appareils photographiques feront décroître la folie cartophile (toutes les familles avaient leur album !). L’offset remplacera la phototypie et les éditions seront plus ponctuelles, intemporelles, puisque le fait de saisir l’événement ne sera plus une priorité. Les deux guerres seront source d’éditions particulières pour la propagande, la solidarité, les cartes cadeaux avec mouchoirs brodés… La fièvre de collectionner ne reviendra pas avant les années 60, avec un public bien plus réduit.
Il ne faut pourtant pas sous-estimer la grande qualité de certains illustrateurs de l’époque art déco et les avancées photographiques liées aux développements de la technique.
Il restera toujours deux catégories bien distinctes de collections : les cartes illustrées ou « fantaisies », surtout valorisées par la signature de l’illustrateur ou par la thématique, et les cartes « locales », photos de lieux saisis « au naturel » et dans l’instant, ce qui en fait toute la valeur historique et sentimentale pour le spectateur, si ce n’est la rareté.
Maritchu
Avril 2007
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